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Nos jeudis avec Catie

 

Catie arrivait chez nous le jeudi, débordante d’affection, et elle nous enlevait à la garde de notre grand-mère pour nous embarquer mon frère et moi, dans une escapade à travers les rues de Paris. Infatigable, elle nous entraînait dans une course folle à travers la capitale.

Nous parcourions les musées, et surtout les églises, qu’elle affectionnait particulièrement. Très croyante, elle était surtout intarissable sur leur histoire et nous, beaucoup trop petits pour en comprendre le sens !

Elle marchait d’un pas alerte, inépuisable et généreuse en nous racontant avec passion la vie des grecs et des romains, puis elle s’arrêtait dans une pâtisserie du Boulevard Raspail et nous achetait des gâteaux !

Souvent, flanqués de seaux, de râteaux et pelles multicolores, nous la suivions au square des Batignolles, faire un tour de manège ou lancer du pain à des canards impassibles qui s’ébrouaient sur les pelouses « interdites » de ce verdoyant jardin.

Courant au travers des allées, nous chassions les pigeons en faisant mine de leur donner des coups de pied et nous avions pour terrain de jeu le plus intéressant des territoires !

Catie nous embrassait de son affection désintéressée et faisait de nos jeudis une délicieuse récréation. A la fois douce et tempétueuse, c’était un être d’exception.

Distraite, il lui arrivait d’oublier son sac ou son parapluie sur les bancs d’une église. Elle semblait alors perdue dans ses pensées, puis tout à coup, sans qu’on s’y attende, elle devenait une femme prête à tout pour défendre la terre entière !

Un jour que nous abordions une rue dont les trottoirs étaient impraticables à cause des voitures qui les encombraient, elle nous pris chacun par la main et se planta au milieu de la chaussée. Ah il fallait les entendre les klaxons des automobilistes mécontents ! Obligés de rouler au ralenti derrière cette petite bonne femme entêtée, tenant par la main deux enfants mi- amusés, mi- inquiets par cette situation inédite! Sans se démonter, elle parcouru la rue, bloquant obstinément le passage et répondant aux conducteurs virulents que c’était un scandale que les voitures soient garées sur les trottoirs. Telle était Catie, imprévisible, refusant l’injustice et l’incivilité.

A cette époque elle donnait bénévolement des cours d’alphabétisation à des étrangers nouvellement arrivés en France. Elle faisait partie de l’association des Citoyens du Monde et militait ardemment pour un monde meilleur. Parfois, nous allions déjeuner chez elle.

Elle habitait un appartement sous les toits, rue de Sèvres. Pour y accéder, on entrait dans un bel immeuble bourgeois. On traversait une entrée majestueuse, entièrement agrémentée de marbre et de bois précieux et on montait jusqu’au dernier étage par un imposant escalier avec sa rampe en cuivre miroitant. D’un pas alerte, tout en continuant son pépiement, Catie gravissait sans les voir les marches recouvertes d’un épais tapis rouge qui étouffait nos pas et sa voix résonnait étrangement dans cette magnifique cage d’escalier. Emerveillée, je me demandais qui pouvait bien habiter derrière les grandes portes devant lesquelles nous passions sans nous arrêter. L’escalier semblait ne jamais vouloir s’arrêter. Tout était si féérique pour la petite fille que j’étais ! Mais soudain, le tapis rouge disparaissait et nous finissions notre course en grimpant un petit escalier dont les marches en bois craquaient sous nos pas. Plus de tapis rouge ni de rampe en cuivre, mais une petite rambarde en fer et la porte d’une chambre de bonne qui s’ouvrait sur un autre univers : celui de Catie.

Dans son petit appartement, qui fleurait le citron et l’encaustique, s’alignaient plusieurs bibliothèques dont des livres et les magazines débordaient des rayonnages. Sur une table qui lui servait de bureau, trônait une machine à écrire. Pendant qu’elle préparait du thé, continuant son babillage, j’écoutais d’une oreille distraite en scrutant les ouvrages avec curiosité. Des récits dans toutes langues, des ouvrages historiques ou religieux côtoyaient les œuvres d’Antoine de Saint-Exupéry et de Paul Claudel. J’étais pleine d’admiration pour elle et jamais je n’aurais osé la contredire.

Pourtant, quelques années plus tard, je compris que malgré ses connaissances et sa très grande culture, Catie avait du mal à vivre avec son temps. Au milieu des années 70, alors collégienne passionnée de lecture, je lui parlais de « Zazie dans le métro », ouvrage recommandé par ma professeure de français. Curieuse, elle lut le texte avant de me l’offrir et entra dans une colère noire après ce Raymond QUENAUD, auteur dépravé et cette enseignante qui ne méritait pas d’apprendre le français à ses élèves. Je ne lui en voulu pas mais je compris lors de cet épisode, que j’étais tout simplement en train de grandir….

Je gardais la nostalgie de ces jeudis avec Catie et du petit appartement sous les toits quand mon frère, plus pragmatique que moi, s’approchait dangereusement de la fenêtre ouverte et que le bruit de la rue entrait dans la pièce. Curieuse, je me penchais à mon tour prudemment au dessus du petit garde-corps pour regarder fascinée, le va-et-vient des voitures et les passants minuscules qui gesticulaient comme des pantins, en bas, tout en bas sur le trottoir…

 

 

 

 

 

 

Le square des Batignolles, un terrain de jeu inépuisable!

J'ai retrouvé cette carte postale dans les affaires de Catie.

Son amie Renée partageait avec elle la vision d'un monde meilleur.

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