C’était un matin d’août en 1992. Presque la fin des vacances. La lumière de ce matin là était belle mais triste. Elle avait la couleur douce et voilée, d’une fin d’histoire d’amour qui vous laisse épuisé mais détendu parce que soudain, on a touché le point de non retour et que la vie continue malgré tout. Malgré la douleur.
« Une page est tournée » a dit mon père. Et dans ses yeux, les larmes ont séché, « parce qu’on ne peut pas toujours pleurer tu sais… ».
Je n’osais pas lever la tête, je n’osais pas regarder devant moi et je fixais le sol désespérément. Ma cousine et son mari marchaient derrière moi. Je ne tentais pas me retourner car je sentais qu’un regard échangé avec un seul membre de ma famille ferait couler des larmes dont je ne voulais pas. Imbécile fierté puisqu’à la mort de Catie, je les avais pourtant laissé faire leur chemin. Mais qui peut expliquer ces choses bizarres qu’on ressent un matin d’août lorsque la lumière est si belle ? La présence de tous ces gens semblait nous tenir en suspension au dessus d’un vide qui ne pourrait plus jamais être comblé.
Mon père et son cousin dont je voyais les nuques grisonnantes et affaissées marchaient juste devant moi. Ils étaient l’un à côté de l’autre, si fragiles, si humbles, comme les enfants qu’ils avaient été un jour lorsque Tonton Gustave était un jeune homme plein de vie.
Cela me faisait mal et je ne cessais de me demander ce que j’avais bien pu faire de toutes ces années pour ne pas m’apercevoir que j’étais passée à côté de ce grand homme qui à présent, reposait dans un cercueil couvert de fleurs à deux pas de moi.
Une femme s’est approchée d’un micro qu’on avait mis là, comme une incohérence, grand tube d’acier au milieu des tombes. Son discours fut bref, absolument pas larmoyant et tout à fait juste. Vers la fin de la cérémonie, lorsque les gens furent repartis avec leurs drapeaux et leurs larmes, l’employé des pompes funèbres qui ne savait que faire de toutes ces fleurs, s’empara d’une énorme couronne sur pied de roses rouges et l’appuya contre la pierre d’une tombe qui se trouvait à portée de sa main. Je croisais le regard de ma mère. Elle murmura « c’est celle de Catie ».
Et la pluie se mit à tomber….
Gentilly, le 21 août 1992
Article paru dans le journal L'Humanité le 19 août 1992
https://www.humanite.fr/node/38023
Né avec ce siècle, Gustave Chauviré est décédé le 16 août, à l'âge de 92 ans. Marin de la mer Noire à 18 ans, puis syndicaliste, Gustave Chauviré avait adhéré en 1924 au PCF. Membre du bureau de la région sud, résistant, il sera arrêté en 1940, puis emprisonné à Sisteron où les internés se libéreront eux-mêmes. A la Libération, Gustave Chauviré participera aux réalisations sociales de Gentilly. Il sera un des pionniers de l'organisation des colonies de vacances et l'un des fondateurs de l'Union sportive de Gentilly et de l'Office municipal des sports.
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