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Tonton GUSTAVE

Né en 1900, tonton Gustave a traversé le XXème siècle avec altruisme et détermination. 

Je me souviens de sa force tranquille, de sa gentillesse et de son autorité bienveillante.

Figure incontournable de la famille CHAUVIRÉ, tonton Gustave nous réunissait tous les ans à la toussaint dans son minuscule appartement de la rue Thomire à Paris.

 

La journée commençait par une visite au cimetière de Gentilly où reposaient ses parents, et sa femme Yvonne, communiste et résistante comme lui, qui avait toute sa vie combattu à ses côtés. La famille, ravie de se retrouver, déposait les chrysanthèmes sur les tombes puis elle se recueillait en chuchotant, tandis que de l’autre côté du mur, les voitures passaient joyeusement sur le périphérique. Mon frère, ma cousine et moi déambulions dans les allées sous le soleil de novembre qui réchauffait à peine les bouts du nez. Les feuilles volaient sous nos pas tandis qu’on rejoignait la rue Thomire par le chemin piétonnier qui longeait le cimetière, près du stade Charléty. La Toussaint chez tonton Gustave, marquait le début de l’automne.

 

Ses frères et sœurs étaient là, au complet pour le traditionnel déjeuner qui suivait : Catie, Tata Guiguite, Tonton Adrien et sa femme Germaine, Tata Laurence, son fils, sa femme, sa fille et sa belle-mère, puis mes grands-parents, mes parents, mon frère et moi.

Avant d’entrer, tout le monde mettait ses chaussons : il n’était pas question de discuter. Tonton Gustave ne rigolait pas avec ça !

Puis, il servait du whisky, ouvrait les huîtres avec son tablier bleu dans l’exigüe cuisine couloir et il mettait le gigot au four. Les joues devenaient rouges, les voix plus fortes, la chaleur gagnait l’appartement. Serrés sur le canapé entre le bar et l’armoire-lit, devant la table qui prenait toute la place dans l’unique pièce de l’appartement, les tontons et les tatas commençaient à rire et à se chamailler. Parfois, la conversation prenait une tournure politique et le ton montait d’un coup. Puis on sortait les cartes, et c’était parti pour une belote ou une manille coinchée !

Pendant que les adultes repus, sirotaient leur café avec langueur, les enfants se réfugiaient  dans la petite entrée. Assis sur le sol, nous inventions des jeux en observant avec méfiance, le cosaque accroché au mur. Avec ses longues moustaches et ses vêtements brillants, il semblait nous surveiller de ses petits yeux méchants ! Rapportés de ses nombreux voyages en Europe de l’Est, Tonton Gustave possédait une innombrable collection de bibelots colorés que n’avions absolument pas le droit de toucher. Matriochkas, poussées russes, boîtes en laque et samovar enchantaient de loin nos âmes d’enfants !

Vers la fin de l’après-midi, Tonton Gustave nous remettait à chacun un cadeau avec tendresse et cérémonie. Pas de cadeau inutile bien sûr. Avec ça non plus, il ne rigolait pas ! C’est d’ailleurs à cette occasion que je reçu mon premier dictionnaire Robert. Il me semblait énorme et lourd. J’étais fascinée par ce puits de connaissances et de mots, bien que pour être sincère, comme mon frère et ma cousine, nous étions plutôt réservés sur les cadeaux utiles. Néanmoins, il ne nous serait pas venu à l’idée de le faire remarquer !

Les années se succédant, la famille se clairsema petit à petit. Les tontons et les tatas s’en allèrent rejoindre les allées du cimetière de Gentilly….

 

Je n’ai jamais oublié ces journées d’automne qui ravissent telles de douces madeleines, mes souvenirs d’enfance.

Tonton Gustave est parti lui aussi, un jour d’août 1992. Quelques années avant,  il m’avait un jour confié un document qu’il avait écrit maladroitement, petite plume d’un homme qui croyait à un monde plus juste et qui s’était battu toute sa vie pour défendre ses idées et son pays.  

Aujourd’hui je suis fière de lui et je ne suis pas la seule.

Ses neveux n’ont pas fini de lui rendre hommage…

 

 

 

En 2008, Jacques GIRAULT lui rend hommage dans un article publié sur le site du MAITRON, (ensemble de dictionnaires biographiques du mouvement ouvrier dirigé par l'historien Jean Maitron puis par son successeur Claude Pennetier) https://maitron.fr/spip.php?article19720 :

 

Né le 28 mars 1900 à Varades (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), mort le 16 août 1992 à Paris (XIVe arr.) ; ajusteur ; chauffeur ; militant au syndicat CGTU des chauffeurs-cochers ; militant communiste à Gentilly avant et après la guerre ; membre de la direction du Parti communiste clandestin ; résistant.

Le père de Gustave Chauviré, petit commerçant en graines, tenait aussi un café, dépôt de journaux. Républicain, anticlérical, abonné à l’Humanité, il avait été candidat pour le conseil général contre le conseiller sortant, un noble réactionnaire. Chauviré avait trois sœurs et était le plus âgé de trois garçons. Sa mère, pratiquante, leur fit donner les sacrements catholiques. Ils fréquentèrent l’école laïque et il obtint le certificat d’études primaires.

D’avril 1914 à 1917, Chauviré travailla chez un forgeron-maréchal-ferrant du village voisin. Puis, il alla travailler à Nantes comme ajusteur dans plusieurs entreprises. Il était hébergé à l’Union compagnonnique et s’en remit au conseil de prud’hommes après un différend avec l’un de ses patrons.

Ne voulant pas partir dans l’infanterie comme ses cousins (l’un était mort au front, l’autre avait été gazé), Chauviré s’engagea pour trois ans dans la Marine au troisième dépôt de Lorient. Matelot mécanicien sur le croiseur Du Cheyla, il fut envoyé dans les Dardanelles et en Mer Noire et participa à un mouvement de protestation le 19 avril 1919 pour obtenir une amélioration de la nourriture et le retour en France. Transféré sur le Cassard, en Syrie, il rentra à Rochefort et fut affecté comme chauffeur au centre d’aérostation.

Libéré le 4 août 1921, Chauviré trouva de l’embauche à Nantes, puis, à la suite d’un lock-out, il partit à Paris rejoindre son frère qui travaillait comme jardinier chez un fleuriste. Embauché pendant dix mois à la TCRP, il fut affecté sur les lignes du dépôt Poissonniers. Il devint alors chauffeur dans différentes maisons de transport, puis chauffeur particulier du médecin-chef de l’hôpital Rothschild jusqu’en juin 1924. Après avoir travaillé pendant un an comme chauffeur dans l’entreprise de taxis Championnet dont le principal actionnaire était le député Frédéric Brunet, il acheta un véhicule Citroën et exerça pour son compte jusqu’en 1931.

Chauviré avait adhéré au Parti communiste en octobre 1924 et militait dans le syndicat CGTU des cochers-chauffeurs. Il entra en 1931 comme chauffeur dans l’entreprise de taxis Razé à Clichy. Il participa activement aux nombreuses actions des chauffeurs et tout particulièrement fut le responsable des piquets de grève de la région de Clichy, lors de la grève de trente-trois jours en 1934.

Marié dans le XVIIe arr. en décembre 1923, il milita avec sa femme, employée dans une crèmerie, active en diverses organisations féminines, dans les organisations de luttes antifascistes contre la guerre. En 1932, il devint secrétaire du comité qui devait être affilié au Mouvement Amsterdam-Pleyel, dans le quartier des Épinettes, qui rayonnait sur l’ensemble du XVIIe arr.

Gustave Chauviré, comme son épouse, était en relations avec l’activité clandestine communiste. Sa femme avait des contacts avec André Marty ; lui-même en relations avec Maurice Tréand, fut chargé de l’hébergement notamment de Jacques Duclos (qui se faisait alors appeler Monsieur Lucas) et de Servet. Il notait d’ailleurs dans son autobiographie de 1938 : « en relation avec le service », « ayant fait pour le PC un certain travail pour le "service", j’ai connu le camarade Servet ». Il déclarait avoir « fourni à la région un rapport sur les trotskystes à Gentilly ».

Le Parti communiste lui avait fait suivre une école régionale 1935 et une école centrale en 1937. Chauviré militait aux Amis de l’Union soviétique (AUS), au Secours rouge international (SRI) et au Comité de défense de l’Humanité (CDH).

Tréand proposa à Beaugrand, nouvellement implanté à Gentilly, que le couple Chauviré soit embauché par la municipalité gagnée par le Parti communiste. Aussi devint-il homme de service à la mairie, le 1er avril 1934, tandis que son épouse devenait concierge de l’école maternelle, un mois plus tard. Chauviré fut chauffeur de Jacques Duclos qui conduisit la liste du PC aux élections municipales de Saint-Denis contre J. Doriot en mai 1935.

L’année suivante, Chauviré devint secrétaire de la section communiste de Gentilly qui comprenait alors Arcueil et Cachan. Il conserva après la décentralisation le secrétariat de la section de Gentilly jusqu’à la guerre. Membre du bureau de la région Paris-Sud, il participa aux congrès nationaux de Villeurbanne et d’Arles. Pendant la guerre d’Espagne, il fut plus particulièrement chargé du recrutement des volontaires pour les Brigades internationales dans toute la banlieue sud. Membre du bureau municipal de Gentilly, représentant de la section communiste, il eut de nombreux accrochages avec le maire Beaugrand. Il s’occupa tout particulièrement des colonies de vacances et effectua plusieurs missions en province pour chercher des implantations possibles.

Sa section le délégua aux congrès nationaux de Villeurbanne (janvier 1936) et d’Arles (décembre 1937).

Non mobilisé, Chauviré, qui travaillait comme chauffeur au service du nettoiement et, pendant un temps, comme chauffeur du président de la délégation spéciale mise en place à Gentilly, fut au cœur de l’activité clandestine communiste.

Arrêté le 5 mars 1940, Chauviré fut, comme les mobilisables, envoyé au centre de Saint-Benoît (Seine-et-Oise) où furent formées les quatre compagnies spéciales de travailleurs. Il fit partie de la quatrième. Le 21 avril 1940, ils partirent pour Roybon (Isère), puis pour Utelle et Moulines (Haute vallée de la Vésubie, Alpes-Maritimes). Ils travaillèrent à la construction de routes et de chemins dans la montagne, travaux déjà commencés par les réfugiés espagnols. Démobilisé dans l’été 1940 à Mézel (Basses-Alpes), mais maintenu au travail sous la surveillance des GMR pour l’entretien des digues de la Durance, il fut envoyé au Centre de séjour surveillé de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn), le 8 février 1941.

Chauviré, très vite, devint infirmier comme quatre autres communistes. Il fut ainsi au cœur des activités du camp. Le 23 octobre 1943, il fut, avec une centaine de communistes, envoyé par répression à la centrale d’Eysses, mesure qui visait à démanteler l’organisation communiste clandestine. Des manifestations importantes furent organisées en décembre 1943. Le 8 décembre, avec 150 détenus, il fut envoyé au camp Carrère près de Villeneuve-sur-Lot ; quinze jours plus tard, ils prenaient la direction de Sisteron (Basses-Alpes) où ils arrivèrent à la Citadelle, le 23 décembre.

Chauviré, là encore infirmier, faisait partie de la direction clandestine du Parti communiste avec D. Renoult et Jean Poch après le transfert du trio de direction (Benoît, Dolidier, Unik) le 28 février 1944. Ils organisèrent l’évasion de cent militants le 8 juin 1944. Avec quarante-quatre de ses camarades, il s’évada le 21 juillet et rejoignait le maquis de Bayons.

Incorporé dans la douzième compagnie de FTP à Bayons, il séjourna à Seyne à la suite d’un violent combat avec les troupes allemandes au cours duquel vingt résistants trouvèrent la mort le 26 juillet 1944, puis rejoignit Digne qui venait d’être libéré par les forces de la Résistance à la mi-août 1944. Le Parti communiste lui confia alors l’organisation du Front national dans la région. Lors d’une tournée, accidenté à Mézel, blessé au genou, il resta hospitalisé à Digne pendant trois mois. Il revint à Gentilly le 19 décembre 1944 mais utilisait encore des béquilles. Il habita dès lors le XIIIe arr. (Poterne des Peupliers).

Jusqu’alors auxiliaire, Chauviré fut titularisé commis de mairie. Il participa à la création des activités sportives municipales et à la fusion des différentes sociétés dans l’Union sportive de Gentilly. Cette fonction était alors une véritable tâche militante car il s’agissait de concurrencer l’Etoile sportive, club créé par l’ancienne municipalité Gratien.

Trésorier de l’Union sportive, Chauviré occupa une place décisive dans la vie sportive communale et l’Union regroupait, au début des années 1950, environ 1 200 adhérents répartis en quatorze sections.

Retraité de la mairie en 1962, il conserva la trésorerie de l’USG jusqu’en 1968. Président d’honneur de l’USG, il était également trésorier bénévole de la Maison de l’Enfance Lucie Le Puill depuis 1946 ; il occupait toujours cette fonction en 1981.

Chauviré occupa des responsabilités dans le comité régional de la FSGT. Il participa aux congrès nationaux et fit partie de nombreuses délégations à l’étranger.

Membre du comité de la section communiste pendant quelques années, il était, en 1981, vétéran du PCF et habitait toujours le XIIIe arr. à quelques centaines de mètres de Gentilly.

Son épouse, Jeanne, Yvonne Eber, née à Bar-le-Duc (Meuse), le 4 septembre 1901, était fille d’un ouvrier tailleur qui avait opté pour la France en 1871. Ouvrière d’usine après avoir été vendeuse, elle milita dans le XVIIe arr. à l’Union des Femmes contre la guerre puis contre la guerre et le fascisme. Elle devint concierge de l’École maternelle Lamartine à Gentilly en 1934.

Révoquée au début de la guerre, elle milita dans le XVe arr. et fut arrêtée à la suite de l’affaire de la rue de Buci en mai 1942, avec Madeleine Marzin. Condamnée à cinq ans de prison, elle séjourna dans les prisons de la Petite Roquette, puis de Fresnes, enfin de Rennes. Déportée à Ravensbruck, elle revint gravement malade le 13 avril 1945. Elle n’eut alors qu’une activité militante réduite par suite de son état de santé. Elle mourut le 20 août 1959 à Sainte-Bauzille-de-Putois (Hérault).

 

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